Budget et Fiscalité
Ø
PLF 2018 : vers un régime fiscal de faveur pour
la rupture conventionnelle collective
L’Assemblée
nationale a adopté en première lecture le projet de loi de finances pour 2018,
le 21 novembre 2017. Comme prévu, elle a institué un régime fiscal de faveur
des indemnités versées lors d’une rupture conventionnelle collective ou dans le
cadre d’une rupture à la suite de l’acceptation d’un congé de mobilité.
Projet de loi de finances pour 2018, adopté
par l’Assemblée nationale en première lecture le 21 novembre 2017
Les indemnités de rupture
conventionnelle collective et celles liées au congé
de mobilité seraient exonérées d’impôt sur
le revenu et exclues, pour partie, de l’assiette
des cotisations de Sécurité sociale. L’Assemblée nationale a
adopté, le 21 novembre, dans le cadre de la première
lecture du projet de loi de finances pour
2018, un article en ce sens. Ce dispositif avait été annoncé dans le cadre du
rapport au président de la République portant sur l’ordonnance nº 2017-1387 du 22
septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des
relations de travail. L’objectif, expliquait le rapport, est de « favoriser la
conclusion d’accords portant rupture conventionnelle collective permettant
d’adapter les compétences aux enjeux évolutifs de l’entreprise tout en
répondant à des aspirations individuelles de salariés concernant leur parcours
professionnel ».
Exonération d’impôt pour
leur montant total
Les députés ont ainsi adopté, en première
lecture, un article révisant l’article 80 duodecies du Code général des impôts
qui dresse la liste des exceptions au principe d’assujettissement à l’impôt sur
le revenu des indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de
travail. Les indemnités de rupture conventionnelle collective et celles liées
au congé de mobilité seraient exonérées d’impôt sur le
revenu, sans limitation de montant. Ce régime
fiscal de faveur serait ainsi aligné sur celui applicable
aux indemnités de licenciement ou de départ volontaire
versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de
l’emploi.
Exonération de
cotisations dans la limite de 2 PASS
Ces indemnités de rupture conventionnelle collective
et de congé mobilité, non imposables, devraient donc être :
- exonérées de cotisations de sécurité
sociale dans la limite de
deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale (79
704 € en 2018, sur la base d’un plafond annuel prévisionnel de 39 852 € pour
2018). La part excédant ce montant serait donc soumise à cotisations ;
- exonérées de CSG et
de CRDS pour la fraction
exonérée de cotisations de sécurité sociale.
Toutefois, si les indemnités de rupture
versées sont supérieures à dix fois la valeur du PASS (soit 398 520 € au 1erjanvier
2018), elles devraient être assujetties, dès le premier euro, à l’ensemble des
cotisations de sécurité sociale et contributions sociales que sont la CSG et la
CRDS.
Entrée en vigueur
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2018
tel qu’adopté par les députés ne comporte pas de date d’entrée en vigueur
spécifique. Mais ce nouveau régime fiscal et social devrait
s’appliquer aux ruptures du
contrat de travail notifiées à compter du 1er janvier
2018.
En effet, ces nouveaux modes de rupture
amiable que l’ordonnance Macron nº 2017-1387 du 22 septembre 2017 a créés
entreront en vigueur après publication des décrets d’application et au plus
tard le 1er janvier 2018.
Libertés individuelles
Ø
Liberté religieuse : la consécration des
clauses de neutralité inscrites au règlement intérieur
Reprenant les
considérations développées par la CJUE à l’occasion de deux questions
préjudicielles récentes, un arrêt très attendu rendu par la Cour de cassation
le 22 novembre 2017 reconnaît, tout en l’encadrant, la possibilité d’insérer
dans le règlement intérieur des entreprises privées une clause de neutralité
interdisant aux salariés en contact avec la clientèle le port visible de tout
signe politique, philosophique et religieux.
L’employeur
peut-il interdire à ses salariés le port de signes religieux lorsqu’ils sont en
contact avec les clients ? Après avoir pris soin d’interroger la Cour de
justice de l’Union européenne, la Cour de cassation répond
de manière claire et détaillée à cette épineuse question par un arrêt du 22
novembre 2017. L’employeur ne peut imposer une telle
restriction que dans le règlement intérieur de
l’entreprise, à condition que cette clause de neutralité vise,
de manière indifférenciée, les signes tant
religieux que politiques et philosophiques, et qu’elle ne s’applique qu’aux
salariés en contact avec la clientèle. Par ailleurs, l’employeur devra, avant
d’envisager un éventuel licenciement, tenter de reclasser le salarié sur un
autre poste.
L’arrêt
assure ainsi la transposition des décisions rendues
le 14 mars 2017 par la CJUE à l’occasion
de deux questions préjudicielles, l’une française posée dans la présente
affaire, l’autre belge. Il conforte par
ailleurs les dispositions de la loi Travail du
8 août 2016 permettant l’introduction de clause de neutralité dans le règlement
intérieur, dispositions dont la compatibilité avec le droit de l’Union n’est
désormais plus discutable (v. l’éclairage de Jean-Guy
Huglo, Doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation, page 2).
Rappel du cadre posé par la
CJUE
Dans
son arrêt préjudiciel du 14 mars 2017 concernant l’affaire belge (aff.
C-157/15), la CJUE a
admis la compatibilité des clauses ou politiques
générales de neutralité en
entreprise avec la directive 2000/78/CE
prohibant les discriminations fondées sur les
convictions religieuses. À plusieurs conditions toutefois :
–
la clause doit reposer sur un motif légitime, tel
que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec les clients d’une
politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse ;
–
elle doit être générale : elle doit viser tous les
signes visibles religieux, politiques ou philosophiques ;
–
elle doit être restreinte quant aux salariés concernés
: il doit s’agir uniquement de ceux en contact avec
la clientèle;
–
en cas de refus du salarié, l’employeur doit chercher à le reclasser dans
un poste sans contact visuel avec les clients, avant d’envisager un
licenciement.
En
revanche, en l’absence de clause ou de politique générale de neutralité définie
dans l’entreprise (comme c’était le cas dans l’affaire française),
l’interdiction faite à un salarié de porter un signe religieux déterminé, tel
le foulard islamique, constitue une discrimination directe qui
ne saurait être justifiée par la volonté de l’employeur de prendre en compte le
souhait de la clientèle de ne pas voir les services de l’entreprise assurés par
une salariée voilée (aff. C-188/15).
Il
ne restait plus à la Cour de cassation qu’à traduire ce mode
d’emploi dans le droit français. L’affaire
qui lui était soumise concernait une ingénieure d’études licenciée pour avoir
refusé de retirer son foulard islamique lors de ses interventions au sein
d’entreprises clientes. L’interdiction ne reposait pas sur une règle
collective, mais sur la prise en compte par l’employeur des souhaits d’un
client de ne plus avoir recours à cette salariée tant qu’elle porterait le
voile. Si le caractère discriminatoire de ce licenciement ne faisait guère de
doute au vu des exigences de la CJUE, la Cour de cassation a profité de ce
dossier pour préciser les conditions d’instauration d’une politique de
neutralité religieuse dans les entreprises privées.
Reconnaissance des clauses
de neutralité par la Cour de cassation
La
Cour de cassation reprend fidèlement les principes posés par la CJUE, tout en
précisant que la clause qui permet d’imposer la neutralité dans l’entreprise
doit impérativement figurer dans le règlement
intérieur ou une note de service qui
en suit le régime.
Ainsi,
selon l’arrêt : « L’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein
de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de
chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou
dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement
intérieur, en application de l’article L. 1321-5 du Code du travail, une clause
de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique,
philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause
générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en
contact avec les clients. »
Se
retrouvent ainsi :
–
l’exigence d’une clause générale interdisant aussi bien
les signes religieux (sans en viser aucun
en particulier) que les signes politiques et
philosophiques. Il s’agit d’un point essentiel car, si la clause ne vise
que les signes religieux, la qualification de discrimination directe pourra
être retenue (v. l’interview ci-contre) ;
–
de même que la restriction liée aux salariés visés,
c’est-à-dire ceux qui sont en contact avec
la clientèle.
La
Haute juridiction reprend également la condition tenant à l’obligation
de reclassement : « En présence du refus d’une salariée de se conformer à
une telle clause dans l’exercice de ses activités professionnelles auprès des
clients de l’entreprise, il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en
tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci
ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la
salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces
clients, plutôt que de procéder à son licenciement. »
Rôle central du règlement
intérieur (RI)
La
Haute juridiction fait du règlement intérieur (ou de la note de service)
le support exclusif de l’instauration
d’une politique de neutralité « contraignante » au
sein de l’entreprise. Une clause de neutralité ne sera en effet opposable aux
salariés qu’à la condition première d’y avoir été valablement inscrite.
Ce
qui rejoint le texte de l’article L. 1321-2-1 du Code du travail, introduit
par la loi Travail nº 2016-1088 du 8 août 2016. Cette disposition prévoit que «
le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de
neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces
restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits
fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si
elles sont proportionnées au but recherché ». Bien que non applicable à la date
des faits, la Cour de cassation s’en est ici largement inspirée en se référant
à la mission de l’employeur de « faire respecter l’ensemble des libertés et
droits fondamentaux de chaque salarié », donnant ainsi une assise
supplémentaire aux clauses de neutralité introduites sur le fondement de
l’article L. 1321-2-1.
Comme
l’indique par ailleurs la note explicative jointe à l’arrêt, le recours au
règlement intérieur « ne s’oppose pas à la négociation au sein de l’entreprise
de chartes d’éthique portant sur les
modalités du « vivre-ensemble » dans la communauté
de travail ». Mais ces dernières n’ont pas la même
portée juridique puisqu’elles sont, pour leur part, « dénuées de caractère
obligatoire et ne sauraient fonder un licenciement pour motif disciplinaire
dans le cas du non-respect par un salarié des préconisations qu’elles
comportent ».
Caractère discriminatoire
d’une interdiction ne reposant pas sur le RI
Dans
l’espèce soumise à la Cour de cassation, aucune clause de neutralité
interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux
sur le lieu de travail n’était prévue au règlement intérieur ou dans une note
de service relevant du même régime légal. De fait, l’interdiction faite
à la salariée de porter le foulard islamique dans
ses contacts avec les clients « résultait seulement d’un ordre
oral […] visant un signe religieux déterminé ». La Cour de cassation
en a donc déduit l’existence d’une discrimination directe fondée
sur les convictions religieuses. Discrimination directe que seule une condition
essentielle et déterminante résultant de la nature de l’activité
professionnelle et des conditions de son exercice aurait été à même de
justifier, en application de la directive. Or tel n’était pas le cas en
l’espèce puisque, conformément à ce qu’a jugé la CJUE, « la volonté d’un
employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services
dudit employeur assurés par une salariée portant un foulard islamique ne
saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et
déterminante ». La Cour de cassation a donc annulé l’arrêt de la cour d’appel
de Paris ayant validé ce licenciement, et renvoyé les parties devant la cour
d’appel de Versailles qui devra conclure à la nullité du licenciement.