lundi 27 novembre 2017

Bref du social du 27 novembre

Budget et Fiscalité


Ø  PLF 2018 : vers un régime fiscal de faveur pour la rupture conventionnelle collective

L’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi de finances pour 2018, le 21 novembre 2017. Comme prévu, elle a institué un régime fiscal de faveur des indemnités versées lors d’une rupture conventionnelle collective ou dans le cadre d’une rupture à la suite de l’acceptation d’un congé de mobilité.
Projet de loi de finances pour 2018, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 21 novembre 2017
Les indemnités de rupture conventionnelle collective et celles liées au congé de mobilité seraient exonérées d’impôt sur le revenu et exclues, pour partie, de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale. L’Assemblée nationale a adopté, le 21 novembre, dans le cadre de la première lecture du projet de loi de finances pour 2018, un article en ce sens. Ce dispositif avait été annoncé dans le cadre du rapport au président de la République portant sur l’ordonnance nº 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail. L’objectif, expliquait le rapport, est de « favoriser la conclusion d’accords portant rupture conventionnelle collective permettant d’adapter les compétences aux enjeux évolutifs de l’entreprise tout en répondant à des aspirations individuelles de salariés concernant leur parcours professionnel ».
Exonération d’impôt pour leur montant total
Les députés ont ainsi adopté, en première lecture, un article révisant l’article 80 duodecies du Code général des impôts qui dresse la liste des exceptions au principe d’assujettissement à l’impôt sur le revenu des indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail. Les indemnités de rupture conventionnelle collective et celles liées au congé de mobilité seraient exonérées d’impôt sur le revenu, sans limitation de montant. Ce régime fiscal de faveur serait ainsi aligné sur celui applicable aux indemnités de licenciement ou de départ volontaire versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
Exonération de cotisations dans la limite de 2 PASS
Ces indemnités de rupture conventionnelle collective et de congé mobilité, non imposables, devraient donc être :
exonérées de cotisations de sécurité sociale dans la limite de deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale (79 704 € en 2018, sur la base d’un plafond annuel prévisionnel de 39 852 € pour 2018). La part excédant ce montant serait donc soumise à cotisations ;
exonérées de CSG et de CRDS pour la fraction exonérée de cotisations de sécurité sociale.
Toutefois, si les indemnités de rupture versées sont supérieures à dix fois la valeur du PASS (soit 398 520 € au 1erjanvier 2018), elles devraient être assujetties, dès le premier euro, à l’ensemble des cotisations de sécurité sociale et contributions sociales que sont la CSG et la CRDS.
Entrée en vigueur
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2018 tel qu’adopté par les députés ne comporte pas de date d’entrée en vigueur spécifique. Mais ce nouveau régime fiscal et social devrait s’appliquer aux ruptures du contrat de travail notifiées à compter du 1er janvier 2018.
En effet, ces nouveaux modes de rupture amiable que l’ordonnance Macron nº 2017-1387 du 22 septembre 2017 a créés entreront en vigueur après publication des décrets d’application et au plus tard le 1er janvier 2018.

Libertés individuelles

 

Ø  Liberté religieuse : la consécration des clauses de neutralité inscrites au règlement intérieur

Reprenant les considérations développées par la CJUE à l’occasion de deux questions préjudicielles récentes, un arrêt très attendu rendu par la Cour de cassation le 22 novembre 2017 reconnaît, tout en l’encadrant, la possibilité d’insérer dans le règlement intérieur des entreprises privées une clause de neutralité interdisant aux salariés en contact avec la clientèle le port visible de tout signe politique, philosophique et religieux.
L’employeur peut-il interdire à ses salariés le port de signes religieux lorsqu’ils sont en contact avec les clients ? Après avoir pris soin d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation répond de manière claire et détaillée à cette épineuse question par un arrêt du 22 novembre 2017. L’employeur ne peut imposer une telle restriction que dans le règlement intérieur de l’entreprise, à condition que cette clause de neutralité vise, de manière indifférenciée, les signes tant religieux que politiques et philosophiques, et qu’elle ne s’applique qu’aux salariés en contact avec la clientèle. Par ailleurs, l’employeur devra, avant d’envisager un éventuel licenciement, tenter de reclasser le salarié sur un autre poste.
L’arrêt assure ainsi la transposition des décisions rendues le 14 mars 2017 par la CJUE à l’occasion de deux questions préjudicielles, l’une française posée dans la présente affaire, l’autre belge. Il conforte par ailleurs les dispositions de la loi Travail du 8 août 2016 permettant l’introduction de clause de neutralité dans le règlement intérieur, dispositions dont la compatibilité avec le droit de l’Union n’est désormais plus discutable (v. l’éclairage de Jean-Guy Huglo, Doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation, page 2).
Rappel du cadre posé par la CJUE
Dans son arrêt préjudiciel du 14 mars 2017 concernant l’affaire belge (aff. C-157/15), la CJUE a admis la compatibilité des clauses ou politiques générales de neutralité en entreprise avec la directive 2000/78/CE prohibant les discriminations fondées sur les convictions religieuses. À plusieurs conditions toutefois :
– la clause doit reposer sur un motif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec les clients d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse ;
– elle doit être générale : elle doit viser tous les signes visibles religieux, politiques ou philosophiques ;
– elle doit être restreinte quant aux salariés concernés : il doit s’agir uniquement de ceux en contact avec la clientèle;
– en cas de refus du salarié, l’employeur doit chercher à le reclasser dans un poste sans contact visuel avec les clients, avant d’envisager un licenciement.
En revanche, en l’absence de clause ou de politique générale de neutralité définie dans l’entreprise (comme c’était le cas dans l’affaire française), l’interdiction faite à un salarié de porter un signe religieux déterminé, tel le foulard islamique, constitue une discrimination directe qui ne saurait être justifiée par la volonté de l’employeur de prendre en compte le souhait de la clientèle de ne pas voir les services de l’entreprise assurés par une salariée voilée (aff. C-188/15).
Il ne restait plus à la Cour de cassation qu’à traduire ce mode d’emploi dans le droit français. L’affaire qui lui était soumise concernait une ingénieure d’études licenciée pour avoir refusé de retirer son foulard islamique lors de ses interventions au sein d’entreprises clientes. L’interdiction ne reposait pas sur une règle collective, mais sur la prise en compte par l’employeur des souhaits d’un client de ne plus avoir recours à cette salariée tant qu’elle porterait le voile. Si le caractère discriminatoire de ce licenciement ne faisait guère de doute au vu des exigences de la CJUE, la Cour de cassation a profité de ce dossier pour préciser les conditions d’instauration d’une politique de neutralité religieuse dans les entreprises privées.

Reconnaissance des clauses de neutralité par la Cour de cassation
La Cour de cassation reprend fidèlement les principes posés par la CJUE, tout en précisant que la clause qui permet d’imposer la neutralité dans l’entreprise doit impérativement figurer dans le règlement intérieur ou une note de service qui en suit le régime.
Ainsi, selon l’arrêt : « L’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l’article L. 1321-5 du Code du travail, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients. »
Se retrouvent ainsi :
– l’exigence d’une clause générale interdisant aussi bien les signes religieux (sans en viser aucun en particulier) que les signes politiques et philosophiques. Il s’agit d’un point essentiel car, si la clause ne vise que les signes religieux, la qualification de discrimination directe pourra être retenue (v. l’interview ci-contre) ;
– de même que la restriction liée aux salariés visés, c’est-à-dire ceux qui sont en contact avec la clientèle.
La Haute juridiction reprend également la condition tenant à l’obligation de reclassement : « En présence du refus d’une salariée de se conformer à une telle clause dans l’exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l’entreprise, il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement. »
Rôle central du règlement intérieur (RI)
La Haute juridiction fait du règlement intérieur (ou de la note de service) le support exclusif de l’instauration d’une politique de neutralité « contraignante » au sein de l’entreprise. Une clause de neutralité ne sera en effet opposable aux salariés qu’à la condition première d’y avoir été valablement inscrite.
Ce qui rejoint le texte de l’article L. 1321-2-1 du Code du travail, introduit par la loi Travail nº 2016-1088 du 8 août 2016. Cette disposition prévoit que « le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Bien que non applicable à la date des faits, la Cour de cassation s’en est ici largement inspirée en se référant à la mission de l’employeur de « faire respecter l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié », donnant ainsi une assise supplémentaire aux clauses de neutralité introduites sur le fondement de l’article L. 1321-2-1.
Comme l’indique par ailleurs la note explicative jointe à l’arrêt, le recours au règlement intérieur « ne s’oppose pas à la négociation au sein de l’entreprise de chartes d’éthique portant sur les modalités du « vivre-ensemble » dans la communauté de travail ». Mais ces dernières n’ont pas la même portée juridique puisqu’elles sont, pour leur part, « dénuées de caractère obligatoire et ne sauraient fonder un licenciement pour motif disciplinaire dans le cas du non-respect par un salarié des préconisations qu’elles comportent ».
Caractère discriminatoire d’une interdiction ne reposant pas sur le RI
Dans l’espèce soumise à la Cour de cassation, aucune clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail n’était prévue au règlement intérieur ou dans une note de service relevant du même régime légal. De fait, l’interdiction faite à la salariée de porter le foulard islamique dans ses contacts avec les clients « résultait seulement d’un ordre oral […] visant un signe religieux déterminé ». La Cour de cassation en a donc déduit l’existence d’une discrimination directe fondée sur les convictions religieuses. Discrimination directe que seule une condition essentielle et déterminante résultant de la nature de l’activité professionnelle et des conditions de son exercice aurait été à même de justifier, en application de la directive. Or tel n’était pas le cas en l’espèce puisque, conformément à ce qu’a jugé la CJUE, « la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une salariée portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante ». La Cour de cassation a donc annulé l’arrêt de la cour d’appel de Paris ayant validé ce licenciement, et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Versailles qui devra conclure à la nullité du licenciement.