Crime social, erreur économique
Le projet gouvernemental
nécessiterait des pages d’analyse. Pourtant, en moins de 2 pages, je vais
essayer de démontrer en quoi ce projet, écrit par ceux qui utilisent le chômage
pour organiser la régression et pour qui l’emploi n’est qu’un prétexte pour
augmenter encore l’accaparation du capital et du pouvoir économique, social et
politique par une petite minorité, est contraire aux valeurs de la CFTC et à
l’intérêt de l’économie française et européenne.
La durée hebdomadaire du travail :
Les références
sociales chrétiennes font de la famille le pivot de la société et la réduction
du temps de travail, qui donne plus de temps pour la famille, la vie sociale et
l’épanouissement familial est une grande conquête sociale-chrétienne. Or,
aujourd’hui, malgré les congés payés et les 35 heures (souvent dépassées
parfois sans rémunération tant la pression patronale est forte en période de
chômage), dans une famille française, on travaille plus d’heures dans la
semaine que dans une famille de 1935 grâce au travail des femmes. Cette donnée
n’est jamais prise en compte pour défendre la qualité de vie en famille alors
que le partage du travail salarié et du travail domestique entre femmes et
hommes est une grande conquête sociale qui ne doit pas réduire le temps
disponible pour la famille mais le partager équitablement.
Augmenter la
durée hebdomadaire du travail de ceux qui ont un travail c’est le contraire de
la solidarité sociale envers ceux qui n’ont
pas de travail et cela aussi est contraire à nos valeurs.
Mais plus
encore, c’est une erreur économique doublement grave :
-
La situation actuelle n’est pas celle d‘un
manque de salariés (contrairement à l’Allemagne) mais celle d’un manque de
travail pour employer les demandeurs d’emplois. Dans ce contexte « travailler
plus » pour ceux qui ont un emploi est une aberration économique tout
autant que sociale puisque cela va aggraver la différence entre offre de
travail et demande d’emplois.
-
L’idée de travailler plus s’appuie aussi sur une
analyse fausse des causes de la crise économique en Europe. La première cause
du chômage c’est l’augmentation de la productivité du travail, particulièrement
élevée en France, sans compensation
suffisante par l’évolution de la consommation et la réduction de la durée du
travail. Depuis le XIXème siècle et jusqu’à la deuxième moitié de la
décennie 1971-1980, l’augmentation de la
productivité du travail avait toujours été compensée par 2 choses :
l’augmentation du pouvoir d‘achat des salariés par une amélioration des
salaires (sur ce point Ford avait raison)
permettant de vendre plus de produits, et la réduction du temps de
travail permettant d’employer tout le monde. Le néolibéralisme de Reagan et
Thatcher, étendu ensuite au Japon et à l’Allemagne, a cassé ce cercle vertueux
porteur d’un progrès social souvent initié par les sociaux chrétiens. En
réaugmentant la durée du travail pour ceux qui ont un emploi, en réduisant le
pouvoir d’achat des salariés, les tenants de l’idéologie gestionnaire du néo
libéralisme anglo-saxon ont transformé la crise conjoncturelle du pétrole de
1974, qui aurait été brève, en crise structurelle de l’emploi qui perdure depuis 40 ans. Depuis 5 ans, la
durée du travail a aussi augmenté en France, notamment par le bief des
retraites retardées.
La solution
économique est donc la réduction du temps de travail et en cela, la France avec
ses 35 heures avait raison. Le problème c’est que les autres (USA, Royaume-Uni
puis Allemagne notamment) ont fait le contraire. Ce faisant ils n’ont pas
réussi à réduire le sous emploi, ils ont seulement réduit le nombre de
chômeurs, et cela s’est accompagné d’une régression sociale scandaleuse (42% de
travailleurs pauvres dans l’Allemagne d’aujourd’hui) et d’une concurrence déloyale
envers les pays européens qui tentaient de conserver leurs droits sociaux comme
la France. Cette politique a échoué même au Royaume-Uni et en Allemagne :
-
Au Royaume-Uni, s’il y a moins de chômeurs c’est
pour deux raisons :
o la
principale c’est que les salariés subissent un temps de travail réduit sans
compensation salariale (contrat zéro heure) : il y a plus de gens au
travail mais le nombre d’heures travaillées n’a pas augmenté. On a partagé la
misère.
o La
seconde c’est que de nombreux chômeurs sont sortis du marché du travail par des
déclarations d’inaptitude.
-
En Allemagne il y a moins de chômeurs pour 2
raisons :
o La
première est identique au Royaume-Uni. Cette politique a fait passer le taux de travailleurs pauvres
de 8 à 42% et ce n’est qu’illusion pour l’emploi. Depuis 10 ans, l’Allemagne a
créé moins d’heures de travail que la France. Il y a moins de chômeurs mais
aussi moins de travail. Le nombre d’heures de travail a diminué en même temps
que le chômage à cause d’un partage du travail sans compensation salariale, ce
qui cause la misère des travailleurs dans des pans entiers de l’économie où le
syndicat est peu présent voire absent.
o
La seconde est la démographie : en France
il y a plus de jeunes à demander un travail que de salariés partant en retraite
(environ 5 contre 3). En Allemagne c’est l’inverse, ce qui explique aussi
l’apparente générosité de madame Merkel pour l’accueil des migrants :
accueillir des étrangers est une question de survie économique pour
l’Allemagne.
Le vote des salariés un déni de
démocratie, une concurrence déloyale par dumping social :
La
subsidiarité veut que l’on laisse aux corps intermédiaires ce qu’ils peuvent
faire bien et que l’Etat face ce que ceux-ci ne peuvent pas faire bien.
Aujourd’hui, cela requière plus d’Etat et non moins d’état et donc de lois et
de Code du travail. La hiérarchie des normes a pour but de rééquilibrer le
contrat de travail entre deux parties très inégales au contrat. Le patron est
beaucoup plus puissant que les salariés, surtout en période de chômage. Dans
ces conditions, permettre aux accords de branches et plus encore d’entreprises
de déroger au code du travail c’est soumettre les salariés au chantage patronal
à l’emploi.
Le projet, que
certains parlementaires veulent aggraver en confiant l’initiative de la
consultation des salariés au seul patron, propose que ce soient des syndicats
minoritaires qui organisent cette consultation. Comme en France, la grande
majorité des entreprises est dépourvue de syndicat représentatif au nouveau
national. Il sera facile aux patrons de rendre représentatifs des syndicats
d’élus du 2ème tour pour organiser la régression sociale dans leur
entreprise. Comment un salarié pourrait-il voter librement si le patron lui
dit : si vous ne votez pas oui je délocalise, je ferme l’entreprise en
tout ou partie, tu seras chômeur ou tu
seras responsable de licenciements de certains de tes collègues de
travail ? Ce sera le même choix
contraint si le patron dit : je vais embaucher ton fils, ton mari, ton
voisin si tu acceptes de baisser ton salaire ou d’augmenter ton temps de
travail sans compensation digne. Evidemment le patron n’embauche que s’il a du travail et donc des marchés et des
clients et pour aucune autre cause. Le
vote des salariés ne sera pour lui qu’un effet d’aubaine afin d’augmenter ses
profits au détriment de ses salariés.
Ce projet de
loi soumet les salariés au chantage à l’emploi pour organiser régression
sociale, qui, à terme, provoque toujours plus de misère et plus de chômage.
C’est l’engrenage de la régression sociale.
En effet,
même si la grande majorité des patrons souhaitait conserver ou améliorer la
condition de leurs salariés, les quelques patrons voyous ou peu scrupuleux, et
il y en a, qui organiseront la régression sociale dans leur entreprise,
bénéficieront d’une concurrence favorisée par rapport à leurs collègues qui, de
ce fait, seront devant un terrible dilemme : faire de même ou disparaître.
Il ne faut pas oublier qu’au lendemain de la 1ère guerre mondiale,
il y a 100 ans, ce sont des patrons ayant signé des accords d’entreprises ou de
branches qui ont demandé des lois sociales pour mettre fin à une concurrence
déloyale reposant sur la misère ouvrière.
La précarisation du contrat de travail:
En permettant
de précariser le contrat de travail, la loi va aggraver la principale cause de
la crise économique de l’Europe et particulièrement de la France, la perte
de confiance dans l’avenir, le manque de visibilité pour demain. C’est particulièrement
vrai pour le bâtiment mais aussi pour tous les produits à destruction
lente. En réduisant encore la confiance
dans l’avenir, la loi réduira la consommation, favorisera l’épargne de
précaution et aggravera la crise économique et le chômage.
Le plafonnement des indemnités
prud’homales : une mesure immorale :
Cela revient à
permettre au patron de calculer à l’avance ce que lui coûtera une action
illégale et donc de calcul un rapport coût-avantage à violer la loi. C’est un
pousse au crime.
Tout ceci
n’est qu’en aperçu de la révolution antisociale qui se met en place. La loi ne
sera pas le grand soir espéré par Marx et les syndicats révolutionnaires. Ce
serait le grand soir de la lutte des classes gagnée par les patrons et le
capital ! La régression est déjà à l’œuvre en Europe et elle a transformé la
crise économique en crise sociale, politique et morale. La démocratie suppose
l’adhésion à un contrat social et, depuis la fin du XIXème siècle, celui-ci
reposait sur la confiance dans le progrès social. Chacun savait qu’il vivrait
mieux demain et surtout que ses enfants vivraient mieux que lui. Les français,
comme beaucoup d’européens, constatent qu’ils vivent moins bien qu’hier et
surtout que leurs enfants vivront moins bien qu’eux. C’est cette régression
sociale qui menace la démocratie. Elle pousse des européens à adhérer à des
idées de rejet des autres, encouragés par ceux qui veulent masquer leur échec
en désignant des boucs émissaires. Elle enferme un grand nombre de jeunes dans
un communautarisme suicidaire ou dans l’économie parallèle et mafieuse. La CFTC
ne peut pas participer à cet engrenage mortifère de la régression sociale,
économique et politique elle qui a été l’un des principaux moteurs de l’engrenage vertueux du progrès social.
Edmond Harlé
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