jeudi 25 février 2016

Coup de gueule d'un militant CFTC

Crime social, erreur économique

Le projet gouvernemental nécessiterait des pages d’analyse. Pourtant, en moins de 2 pages, je vais essayer de démontrer en quoi ce projet, écrit par ceux qui utilisent le chômage pour organiser la régression et pour qui l’emploi n’est qu’un prétexte pour augmenter encore l’accaparation du capital et du pouvoir économique, social et politique par une petite minorité, est contraire aux valeurs de la CFTC et à l’intérêt de l’économie française et européenne.

La durée hebdomadaire du travail :
Les références sociales chrétiennes font de la famille le pivot de la société et la réduction du temps de travail, qui donne plus de temps pour la famille, la vie sociale et l’épanouissement familial est une grande conquête sociale-chrétienne. Or, aujourd’hui, malgré les congés payés et les 35 heures (souvent dépassées parfois sans rémunération tant la pression patronale est forte en période de chômage), dans une famille française, on travaille plus d’heures dans la semaine que dans une famille de 1935 grâce au travail des femmes. Cette donnée n’est jamais prise en compte pour défendre la qualité de vie en famille alors que le partage du travail salarié et du travail domestique entre femmes et hommes est une grande conquête sociale qui ne doit pas réduire le temps disponible pour la famille mais le partager équitablement.  
Augmenter la durée hebdomadaire du travail de ceux qui ont un travail c’est le contraire de la solidarité sociale envers ceux qui n’ont  pas de travail et cela aussi est contraire à nos valeurs.
Mais plus encore, c’est une erreur économique doublement grave :
-          La situation actuelle n’est pas celle d‘un manque de salariés (contrairement à l’Allemagne) mais celle d’un manque de travail pour employer les demandeurs d’emplois. Dans ce contexte « travailler plus » pour ceux qui ont un emploi est une aberration économique tout autant que sociale puisque cela va aggraver la différence entre offre de travail et demande d’emplois.
-          L’idée de travailler plus s’appuie aussi sur une analyse fausse des causes de la crise économique en Europe. La première cause du chômage c’est l’augmentation de la productivité du travail, particulièrement élevée  en France, sans compensation suffisante par l’évolution de la consommation et la réduction de la durée du travail. Depuis le XIXème siècle et jusqu’à la deuxième moitié de la décennie  1971-1980, l’augmentation de la productivité du travail avait toujours été compensée par 2 choses : l’augmentation du pouvoir d‘achat des salariés par une amélioration des salaires (sur ce point Ford avait raison)  permettant de vendre plus de produits, et la réduction du temps de travail permettant d’employer tout le monde. Le néolibéralisme de Reagan et Thatcher, étendu ensuite au Japon et à l’Allemagne, a cassé ce cercle vertueux porteur d’un progrès social souvent initié par les sociaux chrétiens. En réaugmentant la durée du travail pour ceux qui ont un emploi, en réduisant le pouvoir d’achat des salariés, les tenants de l’idéologie gestionnaire du néo libéralisme anglo-saxon ont transformé la crise conjoncturelle du pétrole de 1974, qui aurait été brève, en crise structurelle de l’emploi  qui perdure depuis 40 ans. Depuis 5 ans, la durée du travail a aussi augmenté en France, notamment par le bief des retraites retardées.
La solution économique est donc la réduction du temps de travail et en cela, la France avec ses 35 heures avait raison. Le problème c’est que les autres (USA, Royaume-Uni puis Allemagne notamment) ont fait le contraire. Ce faisant ils n’ont pas réussi à réduire le sous emploi, ils ont seulement réduit le nombre de chômeurs, et cela s’est accompagné d’une régression sociale scandaleuse (42% de travailleurs pauvres dans l’Allemagne d’aujourd’hui) et d’une concurrence déloyale envers les pays européens qui tentaient de conserver leurs droits sociaux comme la France. Cette politique a échoué même au Royaume-Uni et en Allemagne :
-          Au Royaume-Uni, s’il y a moins de chômeurs c’est pour deux raisons :
o   la principale c’est que les salariés subissent un temps de travail réduit sans compensation salariale (contrat zéro heure) : il y a plus de gens au travail mais le nombre d’heures travaillées n’a pas augmenté. On a partagé la misère.
o   La seconde c’est que de nombreux chômeurs sont sortis du marché du travail par des déclarations d’inaptitude.
-          En Allemagne il y a moins de chômeurs pour 2 raisons :
o   La première est identique au Royaume-Uni. Cette politique  a fait passer le taux de travailleurs pauvres de 8 à 42% et ce n’est qu’illusion pour l’emploi. Depuis 10 ans, l’Allemagne a créé moins d’heures de travail que la France. Il y a moins de chômeurs mais aussi moins de travail. Le nombre d’heures de travail a diminué en même temps que le chômage à cause d’un partage du travail sans compensation salariale, ce qui cause la misère des travailleurs dans des pans entiers de l’économie où le syndicat est peu présent voire absent.
o   La seconde est la démographie : en France il y a plus de jeunes à demander un travail que de salariés partant en retraite (environ 5 contre 3). En Allemagne c’est l’inverse, ce qui explique aussi l’apparente générosité de madame Merkel pour l’accueil des migrants : accueillir des étrangers est une question de survie économique pour l’Allemagne. 

Le vote des salariés un déni de démocratie, une concurrence déloyale par dumping social  :
La subsidiarité veut que l’on laisse aux corps intermédiaires ce qu’ils peuvent faire bien et que l’Etat face ce que ceux-ci ne peuvent pas faire bien. Aujourd’hui, cela requière plus d’Etat et non moins d’état et donc de lois et de Code du travail. La hiérarchie des normes a pour but de rééquilibrer le contrat de travail entre deux parties très inégales au contrat. Le patron est beaucoup plus puissant que les salariés, surtout en période de chômage. Dans ces conditions, permettre aux accords de branches et plus encore d’entreprises de déroger au code du travail c’est soumettre les salariés au chantage patronal à l’emploi.
Le projet, que certains parlementaires veulent aggraver en confiant l’initiative de la consultation des salariés au seul patron, propose que ce soient des syndicats minoritaires qui organisent cette consultation. Comme en France, la grande majorité des entreprises est dépourvue de syndicat représentatif au nouveau national. Il sera facile aux patrons de rendre représentatifs des syndicats d’élus du 2ème tour pour organiser la régression sociale dans leur entreprise. Comment un salarié pourrait-il voter librement si le patron lui dit : si vous ne votez pas oui je délocalise, je ferme l’entreprise en tout ou partie,  tu seras chômeur ou tu seras responsable de licenciements de certains de tes collègues de travail ?  Ce sera le même choix contraint si le patron dit : je vais embaucher ton fils, ton mari, ton voisin si tu acceptes de baisser ton salaire ou d’augmenter ton temps de travail  sans compensation digne. Evidemment le patron  n’embauche que  s’il a du travail et donc des marchés  et  des clients et  pour aucune autre cause. Le vote des salariés ne sera pour lui qu’un effet d’aubaine afin d’augmenter ses profits au détriment de ses salariés.
Ce projet de loi soumet les salariés au chantage à l’emploi pour organiser régression sociale, qui, à terme, provoque toujours plus de misère et plus de chômage.
C’est l’engrenage de la régression sociale.
En effet, même si la grande majorité des patrons souhaitait conserver ou améliorer la condition de leurs salariés, les quelques patrons voyous ou peu scrupuleux, et il y en a, qui organiseront la régression sociale dans leur entreprise, bénéficieront d’une concurrence favorisée par rapport à leurs collègues qui, de ce fait, seront devant un terrible dilemme : faire de même ou disparaître. Il ne faut pas oublier qu’au lendemain de la 1ère guerre mondiale, il y a 100 ans, ce sont des patrons ayant signé des accords d’entreprises ou de branches qui ont demandé des lois sociales pour mettre fin à une concurrence déloyale reposant sur la misère ouvrière.          
La précarisation du contrat de travail:

En permettant de précariser le contrat de travail, la loi va aggraver la principale cause de la crise économique de l’Europe et particulièrement de la France, la perte de confiance dans l’avenir, le manque de visibilité pour demain. C’est particulièrement vrai pour le bâtiment mais aussi pour tous les produits à destruction lente.  En réduisant encore la confiance dans l’avenir, la loi réduira la consommation, favorisera l’épargne de précaution et aggravera la crise économique et le chômage.

Le plafonnement des indemnités prud’homales : une mesure immorale :
Cela revient à permettre au patron de calculer à l’avance ce que lui coûtera une action illégale et donc de calcul un rapport coût-avantage à violer la loi. C’est un pousse au crime.                                        

Tout ceci n’est qu’en aperçu de la révolution antisociale qui se met en place. La loi ne sera pas le grand soir espéré par Marx et les syndicats révolutionnaires. Ce serait le grand soir de la lutte des classes gagnée par les patrons et le capital ! La régression est déjà à l’œuvre en Europe et elle a transformé la crise économique en crise sociale, politique et morale. La démocratie suppose l’adhésion à un contrat social et, depuis la fin du XIXème siècle, celui-ci reposait sur la confiance dans le progrès social. Chacun savait qu’il vivrait mieux demain et surtout que ses enfants vivraient mieux que lui. Les français, comme beaucoup d’européens, constatent qu’ils vivent moins bien qu’hier et surtout que leurs enfants vivront moins bien qu’eux. C’est cette régression sociale qui menace la démocratie. Elle pousse des européens à adhérer à des idées de rejet des autres, encouragés par ceux qui veulent masquer leur échec en désignant des boucs émissaires. Elle enferme un grand nombre de jeunes dans un communautarisme suicidaire ou dans l’économie parallèle et mafieuse. La CFTC ne peut pas participer à cet engrenage mortifère de la régression sociale, économique et politique elle qui a été l’un des principaux moteurs de  l’engrenage vertueux du progrès social.

                                                                                                                                             Edmond Harlé

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