mercredi 22 mars 2017

Bref du social du 21 mars 2017

JURISPRUDENCE

·        Négociation collective : des échanges bilatéraux ne constituent pas nécessairement des négociations séparées rendant nul l’accord collectif

La nullité d’une convention ou d’un accord collectif est encourue lorsque toutes les organisations syndicales n’ont pas été convoquées à sa négociation, ou si l’existence de négociations séparées est établie, ou encore si elles n’ont pas été mises à même de discuter les termes du projet soumis à la signature en demandant, le cas échéant, la poursuite des négociations jusqu’à la procédure prévue pour celle-ci.
Cass. soc., 8 mars 2017, nº 15-18.080 FS-PB
À l’occasion de l’examen du recours en annulation de la convention d’assurance chômage du 14 mai 2014, introduit par la CGT (laquelle a été déboutée de son pourvoi : v. l’actualité nº 17286 du 15 mars 2017), la Cour de cassation rappelle la liste deshypothèses de déloyauté dans le processus de négociation, susceptibles d’aboutir à l’annulation de l’accord collectif. Il en va ainsi lorsque :
– toutes les organisations syndicales n’ont pas été convoquées à la négociation ;
– l’existence de négociations séparées est établie ;
– les organisations n’ont pas été mises à même de discuter les termes du projet soumis à la signature en demandant, le cas échéant, la poursuite des négociations jusqu’à la procédure prévue pour celle-ci.
Ces différents cas d’annulation avaient déjà été identifiés dans l’arrêt SEB de 2007 (Cass. soc., 10 octobre 2007, nº 06-42.721).
L’intérêt de l’arrêt du 8 mars 2017 réside plus particulièrement dans la distinction opérée par les Hauts magistrats entre desnégociations séparées (qui sont une cause d’annulation de l’accord collectif) et des échanges bilatéraux tenus entre deux réunions avec certains négociateurs. Il apparaît en effet que ces échanges sont tolérés et ne présentent donc pas de caractère déloyal à partir du moment où ils ont été répercutés à l’ensemble des négociateurs pour être discutés, ce qui implique que si des modifications sont apportées au projet d’accord en fonction du résultat de ces échanges bilatéraux, il faudra absolument que le projet soit soumis ensuite à l’ensemble des participants lors d’une nouvelle réunion de négociation.
En l’occurrence, la Haute juridiction a considéré que des échanges bilatéraux menés durant une suspension de séance ne constituaient pas un acte déloyal, dès lors que tous les syndicats avaient été invités à participer à ces échanges (peu important que l’un d’eux ait refusé de s’y présenter), et dans la mesure où le nouveau texte avait été soumis à l’ensemble des négociateurs lors de la reprise de la séance, ces derniers ayant ainsi été mis à même de discuter les termes dudit projet et de faire valoir leurs droits. Il n’y avait donc pas, dans ce cas précis, de négociations séparées.

DOSSIER

·        Sécurisation des forfaits-jours par la loi Travail : décryptage de Franck Morel, avocat

Depuis la loi Travail, l’accord collectif d’entreprise ou de branche mettant en place les forfaits-jours doit comporter de nouvelles clauses obligatoires (notamment, le droit à la déconnexion). Que faire en cas d’accord incomplet ? Le point avec Franck Morel, avocat associé chez Barthélémy avocats.
Pour pouvoir conclure avec ses salariés des conventions individuelles de forfait-jours, l’employeur doit y être autorisé par un accord d’entreprise ou de branche. Depuis la loi Travail du 8 août 2016, cet accord doit contenir trois nouvelles mentions : le droit à la déconnexion, l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ainsi que la communication périodique notamment sur l’organisation du travail. Quel est le sort des accords collectifs incomplets ? La loi Travail permet aux employeurs de prendre des mesures unilatérales pour pallier la carence de leurs accords. Autre possibilité : réviser l’accord collectif.
En cas de révision ou de mesures unilatérales, faut-il sécuriser les conventions individuelles par un avenant contractuel ?
Il faut distinguer deux situations. La révision de l’accord collectif sur la base duquel la convention de forfait en jours est appliquée peut ne porter que sur la mise en conformité par rapport aux clauses obligatoires désormais exigées par le Code du travail. Un avenant de révision qui ne porte que sur ces sujets ne nécessite pas ensuite la signature d’un avenant contractuelavec le salarié. L’accord collectif objet de la révision doit cependant avoir été conclu avant le 9 août 2016.
En revanche, un avenant de révision d’un accord conclu postérieurement ou qui ne serait pas un avenant de seule mise en conformité avec la nouvelle législation induirait la signature d’un avenant contractuel s’il impacte l’application de la convention de forfait en jours. Ce serait le cas par exemple d’un avenant de révision opérant un changement du nombre maximal de jours travaillés.
S’agissant de la mise en place de mesures unilatérales permettant, du fait de la loi, de compenser l’insuffisance de l’accord collectif, il pourra parfois être nécessaire de conclure un avenant contractuel en fonction du contenu de la convention de forfait d’origine. Ce n’est a priori pas la situation la plus courante.
Les mesures palliatives prises par l’employeur, doivent-elles prendre une forme particulière ?
Il est souhaitable pour être en mesure de prouver la réalité de ces mesures palliatives qu’elles prennent une forme qui garantit leur traçabilité.
Un document écrit sous forme de note de service ou d’engagement unilatéral est donc souhaitable. Rappelons qu’aux termes de l’article L. 1321-5 du Code du travail, les notes de service ou tout autre document comportant des obligations générales et permanentes dans les matières du règlement intérieur (notamment l’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité) doivent respecter le formalisme applicable à celui-ci, en particulier la consultation des représentants du personnel (dont le CHSCT) et la transmission à l’inspecteur du travail. On pourrait considérer que ne concernant que les signataires de conventions de forfaits en jours, ces règles ne sont pas générales, mais elles concernent cependant une catégorie homogène de salariés dans son ensemble.
L’absence de document écrit met l’entreprise en position de faiblesse quant à la preuve du respect de ces obligations, mais son existence induit par prudence le respect du formalisme applicable à la modification du règlement intérieur.
La sécurisation des forfaits en cours par des mesures unilatérales, vaut-elle uniquement pour l’avenir ?
Les dispositions légales ne sont pas rétroactives. Elles ne permettent donc pas par elles-mêmes de combler des carences antérieures à leur entrée en vigueur.
L’appréciation par le juge de la validité de l’application de conventions de forfaits en jours pour la période antérieure à la mise en œuvre de mesures unilatérales dans le cadre de la loi du 8 août 2016 va-elle évoluer ? En première instance face à des juges prud’homaux qui savent fréquemment juger aussi en équité et en opportunité, ce n’est pas impossible.
Quels enseignements faut-il tirer des arrêts du 9 novembre et du 14 décembre 2016 de la Cour de cassation ?
Ces arrêts qui portent sur des situations antérieures à l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016 s’inscrivent dans la suite logique des précédents arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation. Ils considèrent nulle la convention de forfait conclue sur la base d’un accord dont les stipulations ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travailrestent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail de l’intéressé. Il faut retenir que l’arrêt du 9 novembre 2016 a considéré insuffisantes dans ce cadre des dispositions comportant notamment la tenue d’un document de contrôle des jours travaillés et non travaillés rempli par le salarié lui-même. Si désormais, cette mesure fait partie des décisions unilatérales permettant de combler des insuffisances de l’accord collectif, la loi renvoie bien la responsabilité de la tenue du document à l’employeur si celui-ci est rempli par le salarié. C’est un point de vigilance important qui suppose de s’assurer que ce qui est écrit est bien validé par l’employeur car si tel n’est pas le cas, c’est l’application du forfait qui pourrait être remise en question.

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